La pandémie de Covid 19 semble avoir déclenché quelque chose, ou plutôt accéléré et dévoilé des phénomènes qui étaient déjà à l’œuvre dans la construction. Rien d’étonnant, car le secteur ne saurait rester à l’écart d’un mouvement qui impacte l’économie dans son ensemble.
C’est peut-être la dernière chance pour les acteurs de la construction de prendre en main leur futur plutôt que de le subir, c’est-à-dire transformer leur modèle avant que leur environnement ne les y oblige.
La plupart des secteurs sont touchés par des phénomènes de fond, de la finance aux transports, en passant par le tourisme, le commerce, l’énergie, les télécommunications, entre autres.
Les entreprises y subissent des disruptions sans précédent et tentent de s’adapter pour survivre. La construction n’y échappera pas. Il convient d’abord d’examiner ces phénomènes avant d’analyser leur impact potentiel sur le secteur.
Transformation digitale et transformation des usages
Les nouvelles technologies produisent de nouveaux usages qui se combinent à elles dans une spirale auto accélératrice. C’est la fin des silos; la frontière entre le B2B et le B2C s’estompe.
De nouveaux entrants sont à prévoir quel que soit le marché, les plateformes se positionnent partout, les réseaux se complexifient et s’interconnectent, des données sont produites en quantité astronomiques, données qu’il faut trier et interpréter pour comprendre, vendre, collaborer et se renouveler.
Dans le BTP, les nouvelles technologies vont permettre d’accroitre la productivité, pallier au manque de main d’œuvre et répondre au durcissement progressif des normes environnementales. Il y a les jumeaux numériques, l’internet des objets, le BIM (Building Information Modeling), les outils digitaux de revue de projet, …
Certaines de ces technologies existent depuis quelques années mais elles n’ont pas bouleversé le secteur. Le BIM, par exemple, devait révolutionner la construction en permettant l’avènement de la maquette numérique mais cette technologie tarde à s’imposer.
En parallèle, les technologies créent ou transforment des usages. Si l’émergence de nouvelles contraintes favorisent cette transformation, c’est un basculement qui se produit. Uber, BlaBlaCar, Airbnb ou encore le Bitcoin font vaciller des secteurs entiers. La pandémie a produit ses effets sur les usages de manière massive. Le réchauffement climatique va bouleverser le BTP autant que l’automobile, si ce n’est plus.
Le négoce bousculé
La distribution professionnelle dans la construction, traditionnellement appelée négoce, est pour l’instant la composante la plus impactée par les nouveaux usages/technologies. D’abord du fait des marketplaces, comme ManoMano, qui investissent le B2B, avec ManManoPro. Il y a aussi les spécialistes du B2C qui se mettent au B2B comme ADEO (Leroy Merlin, Weldom) avec Bricoman, ou encore les Pure Players du commerce en ligne, dans la menuiserie, par exemple, avec Mister Menuiserie ou Avodim.
Mais il y a surtout Amazon qui nourrit des ambitions dans ce secteur avec Amazon Business, précédé il est vrai dans sa démarche par CDiscount Pro. De nouvelles enseignes comme Probox (ADEO) ou Outiz (Saint Gobain) ont été lancées puis fermées, ce qui démontre la fragilité du négoce en France. De nouveaux Business Models y sont encore à inventer.
Dans le neuf, la construction hors-site va bouleverser le paysage
La construction préfabriquée est une idée ancienne qui semble entrer dans un processus de transformation des usages tel que décrit ci-dessus. On parle aussi de construction modulaire et de plus en plus de construction hors-site:
– La robotisation, l’automatisation et les technologies numériques permettent de produire en usine des ensembles de plus en plus complexes intégrant panneaux sandwich multi-matériaux, isolant, menuiseries, câblage électrique, et ce à un coût compétitif.
– Les coûts de production se réduisent considérablement.
– Les délais de construction sont également raccourcis drastiquement.
– Les matériaux plus légers et plus performants rendent ces éléments compatibles avec la Supply Chain.
– La qualité a progressé même si l’image dégradée du « préfabriqué » reste encore tenace.
– Le bilan carbone du béton, trop lourd, fait émerger des alternatives.
– L’impact environnemental est plus faible que la construction traditionnelle.
– Le manque de main d’œuvre qualifiée pousse au développement de ces techniques afin d’alléger les besoins en personnel sur site.
– Le Covid est un facteur conjoncturel non négligeable dans ce processus.
La convergence entre des usages parfois anciens, des technologies plus récentes et des processus empruntés à d’autres secteurs (produire à la chaîne des murs comme on produit des voitures) représente un exemple de ce que nous pourrions attendre du futur de la construction.
Des prescripteurs aux influenceurs
Les prescripteurs sont une autre spécificité du bâtiment. Traditionnellement, ils influencent le client final dans le choix des produits, principalement les matériaux de construction de leurs projets. Il regroupent les architectes, les économistes de la construction, les maîtres d’œuvre, les bureaux d’études techniques, les artisans, les entreprises, les industriels et fabricants ou encore la maîtrise d’ouvrages publics ou privés.
De plus en plus, Facebook et Instagram, entre autres réseaux sociaux, prennent leur place parmi les prescripteurs-influenceurs tant il est vrai que le consommateur d’aujourd’hui fait de plus en plus confiance à son réseau social favori au détriment des experts.
De nos jours, presque personne n’y échappe : Google est un reflex pour la moindre recherche. L’influence de l’algorithme de Google est écrasante, la SEO est une discipline obligatoire pour exister et espérer figurer sur la première page et idéalement le plus haut possible.
Le consommateur est lui-même devenu prescripteur grâce au web, il recherche, prend des avis, compile les informations techniques et marketing pour se forger une opinion qu’il confrontera au final avec le prescripteur traditionnel.
Le marketing digital est devenu la clé de la prescription, il se pratique dans la construction comme dans tous les secteurs, avec cette spécificité qu’il doit aussi prendre en compte les prescripteurs traditionnels.
Les nouveaux besoins des artisans
Les artisans et PME constituent le gros des effectifs du BTP, actifs autant dans la construction neuve que dans la rénovation. Ils sont l’objet de toutes les attentions du secteur et, en particulier, des industriels, qui multiplient les actions vers ce qu’ils appellent le “diffus” par opposition aux gros projets.
Contrairement aux idées reçues, les artisans et PME du Bâtiment ne sont pas forcément rétifs au digital, ou en retard, bien au contraire. Ils saisissent toutes les opportunités et initiatives technologiques qui leur sont proposées. Ils maîtrisent le digital pour leurs approvisionnements, mixant Pure Players, marketplaces et négoce traditionnel (à condition que ce dernier soit passé au Clic&Collect). Ils savent aussi jouer des nouveaux influenceurs / prescripteurs.
Les industriels ont pour objectif d’en faire une clientèle plus ou moins captive en leur offrant des services digitaux pour leur faciliter leur activité, et en conséquence la revente de leurs produits. Ils mettent à leur disposition des tutoriels sur Youtube, des niveaux de certification, les font entrer dans leur réseau d’installateur officiels en leur offrant tout un package d’avantages, allant de l’application mobile multifonction aux bibliothèques d’ouvrages chiffrés (nous y reviendrons ci-dessous).
Les besoins digitaux des artisans du BTP ne sont guère différents, aujourd’hui, des entrepreneurs de la Tech, que ce soit un marketing digital efficace, un Funnel performant, des outils pour travailler mieux et plus vite, ou encore des données sur l’environnement pour prendre les bonnes décisions. Mais concrètement, ces besoins se matérialisent différemment dans le bâtiment.
Quelle stratégie digitale pour les industriels et fabricants ?
Ce n’est pas seulement le prix qui va orienter un artisan vers tel matériau ou son concurrent, mais plutôt sa facilité d’installation, ses qualités techniques, sa résistance au temps, ou encore, les données et outils disponibles et facilement exploitables en rapport avec ce matériau. L’ouvrage, par exemple, est une donnée cruciale pour certains matériaux.
Aide au devis : la bibliothèque d’ouvrages chiffrés
Un ouvrage dans le BTP sert à gagner du temps. C’est un élément de structuration des tâches à effectuer en vue d’un chantier. Il va toucher à autant de documents comme le métré, le devis, les instructions de chantier, les bons de commandes, les factures.
C’est une unité élémentaire de construction à la fois résultat final et moyens pour y parvenir, comprenant une fourniture principale, un temps de pose, tous les accessoires nécessaires (avec comme finalité ledit ouvrage) et des prix.
Pour beaucoup d’industriels ou de fabricants, c’est l’ouvrage que l’artisan va vendre et poser. Donc son intérêt en tant qu’industriel est de l’optimiser, le chiffrer et le faciliter pour que l’artisan puisse le proposer et le vendre plus facilement. Car sinon, l’artisan ira poser celui de son concurrent qui lui aura facilité la vie.
Voici un exemple d’ouvrage simple : fourniture et pose d’un chauffe-eau vertical 150 litres à résistance blindée 2500 W 230 V mono. Cet ouvrage comprend le chauffe-eau, son temps installation et tous les accessoires et fournitures nécessaires à sa pose et à sa mise en service, ainsi que les prix de chaque élément.
Ainsi donc, les industriels proposent, de plus en plus, des bibliothèques d’ouvrages autour de leurs produits pour faciliter le travail au jour le jour de leurs artisans. Idéalement, ces bibliothèques sont compatibles avec le logiciel de devis-facture de l’artisan, ou disponibles sur leur site accompagnées d’outils d’édition de devis en ligne permettant d’accélérer et d’automatiser ces tâches.
Autres outils d’aide à la vente
L’appel d’offre dans le BTP comprend un document technique spécifique intitulé CCTP (cahier des clauses technique particulières) qui décrit, selon une structure spécifique, les matériaux nécessaires. Les industriels et fabricants proposent, de plus en plus, des extraits de CCTP relatifs à leurs produits pour faciliter la vie des rédacteurs d’appels d’offres. Certains vont même jusqu’à proposer des configurateurs de CCTP en ligne. Cela permet d’orienter les appels d’offre vers des caractéristiques techniques spécifiques.
Le configurateur en ligne est un passage obligé à condition que les produits commercialisés s’y prêtent. De plus en plus, les industriels proposent des comparateur de solutions constructives destinés à démontrer la supériorité d’un produit sur un autre. Il va sans dire que l’interface et l’expérience utilisateur sont primordiales pour l’efficacité de ce type d’outil.
La bibliothèque d’objets BIM (Building Information Modeling) est aussi un moyen de faciliter le référencement d’une gamme de produits. Les architectes seront plus enclins à intégrer, dans leur maquette numérique, un matériau ou un composant dont ils disposent en version digitale. A noter que plus la géométrie 3D est détaillée, plus l’objet est volumineux, et moins il sera utilisable par un ordinateur, même puissant. Il est donc préférable, pour le moment, de réduire le niveau de détail de la géométrie 3D des objets BIM proposés et de soigner plutôt les données embarquées dans ceux-ci sous peine de ralentir lourdement les ordinateurs et serveurs des utilisateurs du BIM.
En matière de marketing digital, les possibilités sont nombreuses : aide à la création de site internet, aide au SEO / référencement, à la publicité sur Facebook ou Google, intermédiation entre artisans et consommateurs, plateforme collaborative, formation en ligne, e-réputation, etc
Outils de productivité et d’accompagnement
L’application multifonction répond aux besoins spécifique de tel ou tel métier sur le chantier et offre une aide précieuse et spécifique pour automatiser certaines tâches. De retour au bureau, d’autres outils pour faciliter l’administratif peuvent être imaginés. De même, la réalité augmentée, la réalité virtuelle, la gestion des risques, de l’environnement, des livraisons sont autant de dimensions où inventer des outils à valeur ajoutée.
Conclusion
La transformation digitale dans le bâtiment est aussi et surtout une transformation des usages dont nous n’entrapercevons aujourd’hui que le sommet de l’iceberg. Ce renversement sera la source d’opportunités pour les plus agiles alors que les plus gros pourraient mordre la poussière s’ils ne savent pas s’adapter assez rapidement.